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Le Molinia : ses moulins et ses fermes

Histoire d’un hameau situé entre Haversin (Ciney) et Buissonville (Rochefort).

 

Le texte qui suit est un résumé de l’étude complète parue dans le cahier du Cercle Historique de Rochefort, n° 38 de 2003 et dans la revue du Cercle Culturel Cinacien.

C’est par respect pour ces deux Cercles qui se sont beaucoup investis pour que ces articles soient publiés que nous vous faisons découvrir que des fragments.

Pour l’article complet, nous vous renvoyons à ces deux publications.

 

La ferme du Molinia, située entre Forzée et Haid

 

     L’objet de ces quelques lignes est de vous faire découvrir la présence de deux moulins et de deux fermes à deux endroits différents au Molinia, ce qui est totalement méconnu aujourd’hui, et de citer quelques meuniers et fermiers qui les ont exploités.

 

 1.  Le hameau du Molinia

 Le hameau du Molinia est situé le long de la grand route Ciney-Rochefort, entre Haid et Forzée.  Il demeure une ferme exploitée par la famille Lambeaux.  L’habitation a été construite, entre 1990 et 1992, à l’emplacement de l’ancien moulin. 

 Sous l’ancien régime, le Molinia dépendait de deux juridictions, partagées par le ruisseau du Molinia.

 La rive droite, au nord-ouest, faisait partie de la communauté de Haid, dépendant de la prévôté de Marche-en-Famenne, territoire luxembourgeois.  Une déclaration des habitants de Haid, datée du 22 janvier 1766, nous apprend qu’il ne subsiste qu’une seule ferme à cet endroit et que les autres habitants se seraient retirés en territoire liégeois.  Cette ferme a abrité l’ancien moulin quelques années auparavant.

Sur la carte de cabinet des Pays-Bas autrichiens levée sur l’initiative du comte de Ferraris, vers 1771-1778, on distingue trois constructions.  Celles-ci étaient implantées le long de l’ancien chemin qui reliait Forzée à Haid.

A la Révolution française, ce territoire a été englobé dans la municipalité de Serinchamps.

Par rapport à la grand route actuelle, cette ancienne ferme, aujourd’hui disparue, était distante d’un peu plus de 300 mètres de la ferme de la famille Lambeaux, dans la direction du Domaine provincial de Chevetogne.

 

La rive gauche, au sud-est, faisait partie de la principauté de Liège.  Le nouveau moulin a été construit, vers la moitié du 18e siècle, sur cette rive.  Il figure sur la carte de cabinet des Pays-Bas autrichiens levée sur l’initiative du comte de Ferraris vers 1771-1778.

A la révolution française, cette partie a été englobée dans la municipalité de Buissonville.

 

Le hameau du Molinia a donc toujours été divisé, que se soit sous l’ancien régime, à la Révolution française ou lors de la fusion des communes en 1977.  En effet, la rive gauche est aujourd’hui englobée dans l’entité de Rochefort, l’autre dans l’entité de Ciney.

 

2.  Le ruisseau du Molinia

 Selon l’Atlas des cours d’eau de la commune de Serinchamps, dressé en 1954, le « ruisseau de Molinia » prend cette appellation à proximité de château de Haversin, lorsque le cours d’eau traverse la route de Serinchamps, à côté de la ferme de Jean Borlon.  Il passe d’abord au lieu dit « le grand vivier » puis la « faille de Molinia » pour traverser la grand-route de Rochefort et Ciney, et passer à côté de l’ancien moulin pour se jeter dans l’étang de Chevetogne, à un peu plus de deux kilomètres.  Il prend sa source à environ 300 mètres de la chapelle Saint-Lambert, non loin de la route Haversin - Les Basses.

 Les moulins étaient alimentés ce ruisseau d’un débit peu important.  Une réserve d’eau était accumulée dans deux étangs situés entre la ferme actuelle du Molinia et Haversin.  Ceux-ci figurent sur la carte levée sur l’initiative du comte de Ferraris vers 1771-1778.  Le moulin ne tournait que quelques heures par jour et probablement qu’une partie de la semaine.

 

3.  Le premier moulin au Molinia

 Nous ignorons la date de construction du premier moulin.  Le document le plus ancien que nous avons retrouvé date de 1738, mais, il faut bien l’avouer, nous n’avons pas tenté, par manque de temps, de tout retrouver sur l’histoire ancienne de cet antique établissement.  Pour cela, il aurait été nécessaire de compulser les actes de tous les notaires qui ont officié dans la région. 

 Le 26 août 1738, Marie-Catherine baronne de Waha, née Freymersdorff, épouse de feu Engelbert-Hubert baron de Waha de Fronville, dame de Haversin, Buissonville et autres lieux, loue, à partir du 1er mai 1739, « son moulin dit molinia en la juridiction de Haversin » avec les prairies et terres y annexées, à Jean Lottin, actuellement meunier au moulin de Senenne.

 Signalons que Marie-Catherine de Freymersdorff de Putzfelt épouse d’Engelbert-Hubert de Waha (décédé le 28 février 1717), le 28 octobre 1708.  Ils eurent une fille, Marie-Antoinette-Hubertine-Louise Thérèse.  Cette dernière épouse le 30 janvier 1720, le prince Charles-Emmanuel de Gavre et décède le 23 octobre 1736 à Hassen.  Elle est inhumée à Ongnies (Annuaire de la Noblesse).

 A cause du renon fait par Jean Lottin, la Baronne de Waha passe un nouveau contrat, le 11 avril 1739, pour un terme de trois années renouvelables, à partir du 1er mai, avec Joseph Romain.  Les conditions sont identiques au contrat précédent.  Robert Gofin, meunier à Natoye, se porte caution pour son beau-fils.

 A partir de cette date, nous n’avons plus de documents concernant ce moulin.  Nous ignorons les raisons qui ont poussé le Seigneur de Haversin, propriétaire des installations, à abandonner l’ancien moulin et à en reconstruire un nouveau plus proche des étangs. 

 D’après la déclaration des habitants de Haid, déjà citée plus haut, en 1766, hormis les habitants de la ferme, les autres s’étaient retirés en territoire liégeois.  Ils ont probablement suivi le moulin.

 En tout cas, en 1766, lorsque le Sommaire des biens de la prévôté de Marche a été établi par l’Administration du Comité pour le dénombrement du Luxembourg, un seul ménage est déclaré à « la cense » du Molinia.  Ce document prouve que le moulin n’existait déjà plus à cet endroit en 1766.  Nous ignorons la date de son déménagement, mais elle se situe entre 1738 et 1766.

  

Quelques exploitants de la ferme du premier moulin

 Devenu inutile, l’ancien moulin a donc été converti en ferme.  Il est possible que le bâtiment a été vendu après la construction du « nou moulin ».  A la fin du 18e siècle, il appartient à Hubert Joseph Croisier et Anne Joseph Mathieu.

 Le 5 décembre 1808, devant le notaire Joseph Collignon de Rochefort, Anne Joseph Croisier, servante de Guillaume Hastière, Joseph Croisier, résidant au vieux moulin, commune de Serinchamps, Jeanne Joseph Croisier, assistée par son mari Nicolas Maçon, domiciliée à Moncia, commune de Thynes, Françoise Joseph Croisier, assistée de son époux Jean Joseph Sellier, domiciliée à Awagne, Marie Catherine Croisier, servante résidant à Marche et Lambertine Joseph Croisier résidant au vieux moulin, tous enfants et respectivement gendres de feu Hubert Joseph Croisier et d’Anne Joseph Mathieu « du dit vieu moulin ou molinia » vendent leurs biens à Jean Joseph Herman, résidant à Haid, pour la somme de 272,29 F.

En février 1889, Joseph Gigot du Molignia (Serinchamps) introduit une réclamation auprès de sa commune.  Il se plaint « de l’état déplorable des abords de sa maison sans cesse envahie par les eaux d’un ruisseau mitoyen » entre la commune de Serinchamps et celle de Buissonville, « au chemin de Forzée à Molinia ».  Un ponceau, d’un mètre d’ouverture, doit être construit.

 Ce litige prouve que l’ancien moulin, converti en ferme, était encore habité en 1889.  Nous ignorons la date de l’abandon de ce site. 

 Aujourd’hui, on voit encore les fondations des anciennes bâtisses, mais elles sont au ras du sol.  L’endroit est encore appelé par les personnes âgées « au maka ».

 L’antique chemin qui reliait Forzée à Haid a disparu dans la zone du premier moulin, c’est-à-dire la plus accidentée, mais il existe toujours pour la partie proche de la grand-route de Mont-Gauthier et pour la partie proche de Haid.

Octobre 2003. 

L’emplacement de l’ancien moulin est situé dans le fond de ce cliché.

 

4.  Le nouveau moulin du Molinia

 Un nouveau moulin a donc été construit vers le milieu du 18e siècle, à environ 300 mètres de l’ancien dans la direction de Haversin.

 Quelques propriétaires

 Le 2 juin 1806, beaucoup d’acheteurs et de badauds sont réunis pour assister à une des plus importante vente que la région de Haversin et Buissonville a connu.  Le vendeur, Charles Alexandre de Gavre, chambellan de sa majesté l’Impératrice de France et reine d’Italie, chevalier de l’Ordre de St-Hubert, Membre de la Légion d’honneur, demeurant à Paris, est représenté par Philippe Licot, notaire à Vireux-Molhain, et François Malengrez.

 Ils font exposer « à la chaleur des enchères, les château, fermes et moulins des ci-devant terres d’Haversin, Vérenne et Buissonville avec leurs dépendances ».

Le lot n° 1, d’une superficie approximative de 247 ha 74 centiares, nous intéresse particulièrement.  Il comprend plusieurs lots dont le château d’Haversin et le moulin dit « le Neuf Moulin ».  Ce dernier, avec ses prisures fondamentales, appartenant au vendeur, estimée à 1552 F, jardins, prairies, terres de labour et les sarts qui en dépendent.

 Ce lot est adjugé pour la somme de 110.000 F à Jean Hubert Colson, percepteur à vie, propriétaire demeurant à Buissonville, Jean-Hubert Lambert, maire de la commune de Schaltin et à Hubert Célestin Corbiau, cultivateur demeurant à Havrenne, beau-frère des deux premiers nommés.

 Jean Hubert Colson, Jean-Hubert Lambert et Hubert Célestin Corbiau revendent le château et le moulin tel qu’ils l’ont acheté, le 28 juin 1809, à Nicolas Léonard Joseph de Bonhome, propriétaire et maire domicilié à Ouffet.

 Le moulin (ou la ferme) est resté associé à la propriété du château.  Il est passé de la famille de Bonhome à la famille de Ribaucourt-Darrigade, en 1922, puis a été acquit par la famille d’Harcourt

 Fernand Lambeaux et Josée Kuypers ont acquit la ferme en 1989 et l’exploitent encore aujourd’hui.

 

La maison construite en 1992 (octobre 2003).

 

Quelques meuniers et fermiers du « neuf moulin »

En avril 1807, Jean Lambert, Antoine et Marie-Thérèse Herman meuniers demeurant au « neuf moulin » préparent leur départ.  Le 25 avril, ils exposent en vente publique le bétail, le matériel et tous les meubles et ustensiles du ménage, au moulin de Molinia. 

 Lors d’un changement de locataire du moulin, une « prisure » ou estimation était faite par un ouvrier expert, qui dans le cas qui nous occupe se prénommait Joseph Borlée de Havelange.  C’est une personne que l’on a rencontrée pour d’autres estimations dans la région.

 Cet acte, a été dressé, le 29 avril 1807, par le notaire Gaillard, en présence des propriétaires Jean Hubert Colson et Hubert Lambert.

Lambert Herman, meunier sortant du « nou moulin, dit le molinia » et Paul Simon de Tavier (Achêne), représentant Pierre Joseph Tagnon, son neveu, de la même commune, meunier entrant, étaient aussi présents. 

Tous les accessoires du moulin étaient examinés en détail. L’épaisseur des meules, était mesurée au millimètre près.  Nous n’entrerons pas trop dans les détails, mais la meule tournante du moulin à farine est estimée à 40,76 F.  Par contre, la meule gisante n’a aucune valeur.

La meule tournante du moulin « à émouder ou chochière » (c’est la meule qui enlève l’enveloppe de l’épeautre, appelée aussi meule décortiqueuse) est estimée à 19,44 F.  La meule gisante n’a, elle aussi, aucune valeur.

L’estimation totale de ce matériel (la roue, l’arbre, le rouet avec quatre bandes de fer, la lanterne, le plumard tant intérieur qu’extérieur, le chat, le plancher, le bac et chevalet servant à conduire l’eau sur la roue, les deux escaliers, etc…) atteint la somme de 805,21 F.

 Pierre Joseph Tagnon, né à Taviet en 1766, est l’époux de Marie Barbe Simon, née à Conneux en 1766.  Sur le tableau de la population, du village de Forzée, dressé le 31 décembre 1815, par Jean Henry Vaselle, habitant Forzée, on lit qu’il a six enfants : Paul (né à Boisseilles, en 1800), Constant (né à Linciaux, en 1803), Thérèse (née à Surice, en 1805), Jacques (né au Moulinia, en 1809), Bernard (né au Moulinia, en 1811) et Xavier (né au Moulinia, en 1813).

Nous ignorons la date de son départ, mais en 1825, lorsqu’il a loué le moulin et la ferme de Buissonville, pour la période du 1er mai 1825 au 1er mai 1832, il est toujours renseigné comme meunier au Molinia. 

Célestin Dumont, né à Nettinne en 1797, époux de Joséphine Lambertine Cornille, est cité dans le rôle du droit de patente des années 1844 à 1849.  Il exploite le moulin et est cabaretier.

 Léopold Culot « du Molinia » figure dans le rôle du droit de patente des années 1857 à 1859.  Il est meunier et cabaretier. 

 Gustave Culot, né à Serinchamps, le 27 juin 1823, époux de Julie Warnant, née à Serinchamps le 10 avril 1828, est cité dans le rôle du droit de patente ou dans le double des rôles des contributions directes des années 1860 à 1865.  Il exploite un moulin à farine mû par l’eau et est cabaretier.  Il a quitté la commune de Serinchamps, pour habiter celle de Buissonville le 1er avril 1863.  Est-ce pour demeurer au Molinia ?

 Gustave Culot n’est plus signalé dans la liste du double des rôles des contributions directes des années 1873 et 1879 et il n’y a pas d’autre meunier cité.  Par contre, en 1873, Hubert Dominé est mentionné comme cultivateur au « Moliniat ». 

Si l’on se réfère aux rôles du droit de patente, le moulin aurait cessé ses activités entre 1860 et 1873.  L’absence de ces documents entre 1860 et 1872, ne nous permet pas d’avoir une date plus précise.

 Lors du recensement général de la population au 31 décembre 1890, Gustave Culot, renseigné comme cultivateur, habite Forzée.

 Dans le rôle d’imposition pour l’entretien et l’amélioration de la voirie vicinale de 1900, Léopold Dereppe (né à Serinchamps le 20 janvier 1858) est cultivateur au Moligna.

 Cyrille Culot (né le 15 mai 1869), cultivateur au « Moliniat », est cité de la table alphabétique des propriétaires inscrits à la matrice cadastrale de Serinchamps, dressée en 1907.

 Théodule Marchal (né le 5 septembre1881, décédé en 1958), et son épouse Florence Lambeaux (née le 20 décembre 1882, décédée en 1965) reprennent la ferme vers 1921 et l’exploitent jusqu’au 1er mai 1927.  Ils ont ensuite exploité la ferme de Grigeoule à Conjoux. 

 Madame la Comtesse Robert de Ribaucourt, née Pia Darigade, loue à Simon Joseph Lambeaux (né à Beffe, le 11 décembre 1871 – décédé le 18 janvier 1954) et à son épouse Anne-Joseph (prénommée Léontine) Lecoq (1873-1939), demeurant à Mierchamps, sa ferme, comprenant environ 60 ha, à partir du 1er mai 1927, pour un terme de neuf ans.  Le couple a six enfants : Mathilde Daper, épouse Marlair, née du premier mariage de Léontine ; Maria, épouse de Armand Renard ; Flore, épouse de Joseph Graide ; Marie, épouse de Octave Paquet ; Joseph, époux de Tharzile Georis et Alphonse, époux de Marie-Louise Samson.  Il a exploité la ferme jusqu’en 1952.

 

Le 18 décembre 1952, Robert Christyn, comte de Ribaucourt, demeurant à Bruxelles, loue sa ferme à Joseph Amand Lambeaux (né à Halleux, le 11 janvier 1912) et Tharzile Georis (née à Erneuville le 22 décembre 1914, décédée au Molinia le 6 novembre 1960).  Ils ont exploité le bien jusqu’en 1968. 

 Fernand Lambeaux et Josée Kuypers ont repris la ferme en 1968 et l’exploitent encore aujourd’hui.  Ils l’ont acquise en 1989.

 

L'ancien moulin du Molinia

 

La ferme du Molinia (octobre 2003).

 

Remerciements : Je remercie Louis Genette, Andrée Lambeaux, Fernand Lambeaux, Lucienne Lambeaux, Josée Kuypers et Michel Lauwers pour leur aide précieuse.

 Amand Collard

 

 

SOURCES

- Françoise MIRGUET (avec la collaboration de Yves WELLEMANS et Pierre CAMBIER).  Le Duché de Luxembourg à la fin de l’ancien régime, Atlas de géographie historique - Le Quartier de Marche, Louvain-la-Neuve, 1983, pages 31,32, 52 et 63.

- Plan cadastral de Buissonville, section A, 3e feuille, année 2000.

- Plan cadastral de Serinchamps, section B, 1er feuille, année 1962. 

- PH. VANDER MAELEN.  Dictionnaire géographique de la province de Namur, Bruxelles, 1832.

- Le dictionnaire des communes de Belgique (imprimerie E. Guyot) en 1966,

- AEN - protocoles notariaux, notaire Thys, liasse n° 2117.

- AEN – protocoles notariaux, notaire Collignon, liasses n° 5301, 5302 et 5307.

- AEN – protocoles Notariaux, notaire Denis Dinon, liasse n° 5342.

- AEN – protocoles notariaux, notaire Gaillard, liasses n°4522 et 4523.

- Fonds Lamotte d’Ave, boîte n° 22.

- Archives de la commune de Buissonville.